Le rapport du CNESCO sur Numérique et apprentissages scolaires est sorti, dont la contribution que j'ai rédigée: Les usages effectifs du numérique en classe et dans les établissements scolaires: http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/201015_Cnesco_Fluckiger_Numerique_Usages-1.pdf
La synthèse du rapport: http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/201015_Cnesco_Numerique_Tricot__Chesne_Rapport_synthese.pdf
Les neuf contributions thématiques: http://www.cnesco.fr/fr/contributions-thematiques-du-dossier-numerique/
Extrait de la première partie de ma contribution, qui détaille l'empan et les limites de cette contribution sur les usages en classe:
"Ce rapport se centre sur les usages du numérique en classe et dans les établissements scolaires. Il convient d’en indiquer plusieurs limites, afin de définir l’empan de cette contribution ainsi que sa place par rapport aux autres rapports du Cnesco consacrés au numérique.
· Tout d’abord, nous nous centrerons ici sur les usages qui ont directement trait à l’enseignement ou à l’apprentissage, par rapport à d’autres contributions de cette thématique, qui peuvent investiguer d’autres outils comme les espaces numériques de travail (ENT) dans leur fonction de relation avec les parents (Poyet, 2020) ou des usages juvéniles et apprentissages hors la classe (Cordier, 2020). Les usages dont nous traitons ici relèvent le plus souvent de l’espace de la classe, mais peuvent aussi s’inscrire dans des dispositifs transversaux ou non-disciplinaires, du moment qu’ils sont bien en lien avec les apprentissages et les enseignements.
· Ce rapport se focalise sur les usages du numérique et non sur les équipements. Nous ne nous intéresserons donc pas directement aux politiques publiques, aux données relatives à l’équipement des établissements et des classes, mais aux études qui décrivent ce que font effectivement les acteurs avec ces équipements.
· Ce rapport rend compte des études d’usage, en contexte « écologique », in situ, par opposition aux études principalement expérimentales, qui seront abordées plus spécifiquement dans le rapport sur les fonctions pédagogiques (Tricot, 2020).
· Enfin, nous nous centrons sur les usages liés à un contexte de classe et non pas sur les usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans leurs dimensions communicationnelles, pour l’enseignement à distance, la mise en place de communautés virtuelles, le recours à des campus numériques, forums de discussion, messagerie électronique hors des contextes de classe.
Cette perspective tient donc à deux déplacements conceptuels portés par la notion d’usage :
· Un déplacement de la problématique de diffusion des technologies (dans la perspective ouverte par Rogers, 1962/1995), posant le problème de leur « adoption » ou « acceptabilité » à celle moins surplombante de l’appropriation. La première est plus déterministe, les usages étant pensés comme découlant de la technique, dans un schéma linéaire (Millerand, 1999, p. 8) Une telle approche et pu être jugée « positiviste » (Boullier, 1989). La seconde perspective, celle de l’appropriation, insiste sur le fait que les utilisateurs n’adoptent pas les technologies passivement : l’usage est un « construit social » et non « un sous-produit de la technique » (Chambat, 1994a, p. 45).
· Un déplacement des études expérimentales, avec un contrôle des conditions initiales, vers des études des usages effectifs, dans la diversité des situations et des contextes socio-techniques effectifs des classes.
Dans cette contribution, nous parlons donc des usages pour désigner ce que font effectivement les élèves ou les enseignants avec les technologies, en considérant qu’il peut y avoir un écart entre les usages prévus et les usages prescrits, et que ces usages se sont formés dans le contexte des évolutions de l’école et celles des modes de vie. Les études qui se situent dans cette perspective s’attachent à montrer comme les innovations technologiques « interfère[nt] avec des pratiques existantes, qu'elle[s]pren[nent] en charge et réaménage[nt] » (Chambat, 1994b, p. 253), en étroite relation avec les imaginaires, émotions, fascinations ou craintes qu’elles suscitent (Flichy, 2001 ; Rinaudo, 2011).
Appréhender les usages suppose donc de se donner les moyens méthodologiques pour les appréhender. Les outils méthodologiques mobilisés par les recherches présentées ici peuvent relever du quantitatif ou du qualitatif, reposer sur du déclaratif (entretiens ou questionnaires) ou sur des observations (instrumentées ou non par des captations audio ou vidéo), etc. Mais rappelons que toutes ces méthodes reposent in fine sur un point de vue : celui d’un acteur, tel qu’il est verbalisé en entretien ou dans un questionnaire, mais aussi le point de vue du chercheur. Rappelons aussi qu’en cela, les usages se distinguent de la seule utilisation des technologies, car loin de renvoyer à un face-à-face entre un individu et une technologie, les études d’usage les considèrent dans leur contexte, social, culturel, et que l’usage est pris dans des interactions, des normes, des représentations socialement partagées. Les utilisations sont plus ou moins ponctuelles, les usages sont socialement partagés. Pour certains auteurs, ils sont même « pédagogiquement intégrés et institutionnellement validés » (Moeglin, 2012, p. 4). Toute la difficulté dès lors est de caractériser et décrire un contexte qui fasse sens pour rendre l’usage intelligible : contexte personnel de l’enseignant ou des élèves, projet d’école, de circonscription ou d’académie, etc. Tous ces contextes sont enchâssés les uns dans les autres et le choix d’expliquer l’usage par l’un ou par l’autre participe également du point de vue du chercheur.
Pris sous l’angle des usages effectifs, les études sur les usages du numérique en classe apportent donc un point de vue complémentaire d’autres approches, qui font l’objet d’autres rapports. On peut sans doute dire que l’analyse des usages effectifs ne permet pas de répondre à des questions qui peuvent pourtant sembler cruciales pour les décideurs des politiques publiques (Fluckiger, 2019a), comme la question de l’efficacité des technologies (Pouts-Lajus, 2000 ; Chaptal, 2009). Cependant, en parallèle des études qui peuvent montrer que sur tel point particulier, telle technologie a ou non des effets mesurables, les études d’usages mettent en lumière les difficultés de généralisation, les changements méso ou macroscopique (par exemple dans la gestion de la classe, l’organisation du travail enseignant…).
Précisons enfin que toutes les technologies numériques abordées dans ce rapport ont fait l’objet d’une très abondante littérature, tant anglo-saxonne que francophone. Comme le fait remarquer Train (2013) pour le cas du TNI, les premières publications sont souvent le fait de « praticiens acquis à la cause technologique dans l’enseignement » puis par des rapports gouvernementaux ou d’institutions internationales qui se situent, dans l’immense majorité des cas, dans ce que Collin (2016) nomme « le paradigme de l’impact ». Plus que d’éclairer les usages du point de vue des usagers, il s’agit pour ces travaux d’apporter des éléments de choix d’investissement aux financeurs et décideurs publics, en cherchant des effets à cette implantation. Les travaux présentés ici sont à la fois plus modestes et plus ambitieux, en ce qu’ils cherchent à « dépasser un premier questionnement centré sur le caractère fondamentalement bon ou néfaste de cette technologie et de s’engager dans l’examen de questions concernant » les conditions d’usage effectif, les facteurs qui les favorisent, etc. (Train, 2013, p. 67).