Un article en réaction au document de "Recommandations pédagogiques pour accompagner le confinement et sa sortie", publié par le CSEN (https://www.education.gouv.fr/csen-recommandations-pedagogiques-COVID19) vient de paraitre dans la revue Adjectif.net:
Fluckiger, C. (2020). Ressources et outils face à la covid-19 : critique d’un texte du CSEN sur la recherche qui a « sa place » en éducation. Revue Adjectif. Mis en ligne lundi 21 septembre 2020. URL : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article541
Introduction:
Le Conseil Scientifique de l’Education Nationale (CSEN) a produit, en mai 2020, un document nommé « Recommandations pédagogiques pour accompagner le confinement et sa sortie » [2]. Il formule un certain nombre de recommandations aux enseignants, allant de « privilégier les pratiques pédagogiques qui favorisent l’apprentissage en autonomie » à « assurer les fondamentaux : nutrition, activité physique, sommeil, bienveillance » en passant par « rechercher l’appui des ressources numériques ».
Ce document de 17 pages est étonnant, sur le fond comme sur la forme. Un passage surtout a suscité l’inquiétude de chercheurs et collectifs scientifiques [3] :
« Seule l’expérimentation contrôlée permet de vérifier qu’un outil pédagogique fonctionne. Or, un nombre encore insuffisant de ressources ont démontré leur efficacité dans des essais randomisés contrôlés. Dans les années à venir, un gros effort de recherche devrait être mené dans ce sens. Le CSEN publiera prochainement des recommandations sur les types de recherche translationnelle qui ont leur place en éducation, les différents niveaux de preuve qu’ils apportent, et leurs enjeux éthiques et pratiques. »
Si, à première vue, la proposition peut sembler frappée au coin du bon sens et parée des atours de la scientificité la plus rigoureuse, ce qui étonne rapidement est la prétention d’une instance étatique à décréter ce qu’est la bonne et la mauvaise science, qui n’est pas sans rappeler les tentatives du gouvernement fédéral américain de légiférer sur la « scientificité » de la recherche en éducation (Saussez et Lessard, 2009). Ainsi, il y aurait des types de recherche « qui ont leur place » en éducation » et d’autres, donc, qui « n’ont pas leur place »… et il serait possible de décider lesquelles a priori ont « leur place » ou non [4]. Une telle conception des rapports entre recherche scientifique et pouvoir politique, qui distribue les bons et les mauvais points aux recherches (et les subsides aux projets) est pour le moins inquiétante [5].
Or, malgré l’invocation de la recherche et de la démarche scientifique, le texte s’écarte de ce qui fait la méthode scientifique, par son mode d’écriture, par le choix de son étayage théorique et les choix bibliographiques, par l’absence de construction des objets d’étude, des concepts et unités d’analyse préconisés, par l’absence de discussion des limites et domaines de validité des méthodologies (ici l’essai randomisé), par l’absence d’explicitation du paradigme dans lequel se situe le questionnement. C’est pourquoi, en seconde analyse, l’affirmation qu’a « sa place » la recherche en éducation reposant sur des « essais randomisés contrôlés » pour « démontrer » l’« efficacité » de « ressources » est une occasion [6] pour les chercheurs de préciser les objets possibles de leurs recherches, les objectifs qu’ils se donnent ainsi que les méthodes susceptibles d’apporter des connaissances fondamentales et pratiques.