Référence: FLUCKIGER C. (2017), Innovations numériques et innovations pédagogiques à l’école, Recherches, n°66, p. 119-134.
Introduction:
"En 2015, le « Plan numérique pour l’éducation » annoncé par le ministère de l’Éducation Nationale, se donnait trois objectifs : « développer des méthodes d’apprentissages innovantes pour favoriser la réussite scolaire et développer l’autonomie » ; « former des citoyens responsables et autonomes à l’ère du numérique » ; et « préparer les élèves aux emplois digitaux de demain » . Concrètement, il était prévu que « 1 256 écoles et 1 510 collèges au moins [soient] équipés en tablettes à la rentrée 2016. C’est près d’un quart des collèges qui rejoignent donc le plan numérique. Plus de 175 000 élèves seront dotés de tablettes numériques » .
Ce plan n’est certes pas le premier depuis le plan « Informatique Pour Tous » de 1985 (voir notamment Baron et Bruillard, 1996), mais ce qui le caractérise avant tout, ce sont les discours qui l’accompagnent et les visées que ces discours mettent en avant. En effet, à travers ce plan, il s’agit non seulement de « faire entrer l’école dans l’ère du numérique » mais, et c’est sans doute le plus fondamental pour les rédacteurs, d’utiliser le numérique comme un moyen et une opportunité de « refonder » l’école : « La transformation sociale par le numérique est un levier de la refondation de l’École » .
Il ne s’agit pas là d’un discours isolé, c’est au contraire une antienne déclinée à longueur de discours institutionnels, notamment de l’OCDE (voir à ce propos Chaptal, 2009). Le numérique y est souvent présenté comme susceptible d’impulser une véritable régénération d’une école qui aurait perdu de sa pertinence (Eynon, 2012). L’innovation technologique serait alors le moteur de l’innovation pédagogique, en mesure de mettre l’école en adéquation avec de « nouvelles missions », par la personnalisation qu’elle permet, la motivation renforcée des élèves, les dispositifs de type « classe inversée », etc. Bref, le numérique permettrait d’« apprendre d’une manière différente » (Boissière, Fau et Pedró, 2013, p. 68).
Cet article vise à questionner ces discours, en discutant dans un premier temps des conditions de production d’un discours scientifique (c’est-à-dire théoriquement fondé et empiriquement validé) sur un tel sujet, avant de discuter des résultats de recherches qui montrent que l’innovation technologique n’entraine pas nécessairement une plus-value ou une innovation pédagogique. Nous conclurons en montrant qu’il n’est pourtant pas simple, sur ces questions, d’échapper à une forme ou une autre de déterminisme."